1976, 2008 : La Chine tremble...
- M. Beaufils, M. Geissmann, L. Illien
- 28 mai 2015
- 9 min de lecture
Le 28 juillet 1976, la terre tremble à Tangshan. 32 ans plus tard, la Chine connait à nouveau l'un des tremblements de terre les plus puissants du monde : le tremblement de terre du Sichuan. Entre les deux, le contexte historique a bien changé....

Source: Gauche : http://gemecd.org/sites/gemecd/files/Tangshan%201976%20(aerial%20view%20of%20destruction%20in%20Tangshan%20city)%201.jpg ;
Droite : Dan Chung/Guardian
Deux contextes, deux gestions de crise...

Tangshan

Rechercher des informations sur le séisme de Tangshan n’est pas une tâche à prendre à la légère. Les sources de l’époque sont distribuées au compte goutte et reflètent bien la gestion de crise associée que le gouvernement de Mao a adoptée à l’époque : inexistante.
Le séisme frappe à 3h42 du matin. A l’heure où cette ville minière dort, l’intensité du séisme est à son maximum. La plupart des gens endormis trouveront la mort : 85 % des bâtiments s’effondrent, ces constructions n’étant pas faites pour résister à de telles secousses. Malgré la destruction de la quasi-totalité de la ville, les survivants s’organisent et se mettent alors à creuser dans les débris pour retrouver leurs proches. Malheureusement pour eux, une réplique du séisme condamne les derniers accès aux soins, à la nourriture et aux points d’eau 16 heures plus tard. Avec une seule route menant désormais à Tangshan, les habitants attendront les secours, et ce pendant des jours. Les autorités à Beijing avaient pourtant bien ressenti les secousses…
Pendant ce temps, la communauté internationale n’est au courant de rien. Les seules informations sortant de la Chine à cette période ne concernant que l’état de santé de Mao. Le premier bilan en pertes humaines est à l’image de cette censure : le chiffre officiel établit 242 000 morts. Ce chiffre est cependant controversé et d’après la densité de population et le nombre de bâtiments effondrés, le comité révolutionnaire de Hebei et d’autres sources estimeront un bilan encore plus terrifiant avec 700 000 morts.
L’absence complète de transparence médiatique pendant la révolution culturelle n’est pas une surprise. La Chine refusera même toute aide internationale pendant la reconstruction de la ville. Tangshan restera ainsi une catastrophe dont l’ampleur fut inconnue pendant des années.

Sichuan

Le séisme du Sichuan en mai 2008 est le séisme chinois le plus meurtrier depuis Tangshan. Dans le comté du Beichuan, près de 80% des constructions se sont effondrées. Ces dégâts sont dûs à la fois à l'ancienneté des bâtiments, à la corruption et à la pauvreté des régions majoritairement touchées. Autant de raisons qui expliquent que les normes parasismiques de construction établies à la suite du séisme de Tangshan n'aient pas été largement respectées.
Mais, 32 ans après Tangshan, il semblerait que la leçon ait été retenue : la gestion de la crise par les autorités est menée en un temps record. Il n'a fallu que 90 minutes au premier ministre chinois, Wen Jiabao, pour se rendre sur les lieux de la catastrophe afin de superviser l'action des secours. Le même jour, près de 50 000 soldats et membres des forces de l'ordre sont mobilisés pour venir en aide aux victimes. A la différence de Tangshan, la gestion de la catastrophe est de grande ampleur, officialisée et surtout médiatisée.
Cette gestion de crise est aussi pour la première fois une gestion internationale. Dans un contexte d'ouverture économique, et médiatique, à la veille des JO de Pékin, la Chine accepte l'intervention de pays comme la Corée du Sud, le Japon et les Etats Unis. C'est l'une des différences majeures avec 1976.
Le contexte médiatique a beaucoup changé depuis 1976. Le séisme est retranscrit en direct sur toutes les télévisions. Les images circulent, prises par téléphone portable ou caméra de poche. Il y a un avant et un après Sichuan : les médias chinois et étrangers couvrent bien plus librement cette catastrophe que les évènements au Tibet, survenus pourtant quelques semaines auparavant. Deux explications : Soit le pouvoir chinois est désormais incapable d'empêcher la diffusion des catastrophes qui surviennent dans son pays. Soit, et c'est l'hypothèse plus nuancée de Alain Peter , celui-ci adapte sa censure au nouveau contexte médiatique. Cette médiatisation peut être même une aubaine pour le gouvernement : cette gestion exemplaire lui permet de se différencier des gestions catastrophiques de Katrina et du cyclone Nargis en Birmanie .

Des catastrophes politiques
A Sichuan, une médiatisation bénéfique
Sichuan n'arrive pas à n'importe quel moment de l'histoire chinoise. Nous sommes à quatre mois des JO de Pékin lorsque le séisme éclate, et au lendemain des évènements au Tibet. La médiatisation de sa gestion de crise exemplaire permet donc à la Chine de redorer son blason auprès de la communauté internationale. La Chine apparaît comme un modèle de gestion exemplaire au moment le plus opportun pour elle. Il s'agit donc bien d'une récupération de la catastrophe à des fins politiques. Le gouvernement organise même la première journée de deuil national chinoise, en dehors de la mort d'un dirigeant.
Ce n'est pas la première fois qu'un seisme est exploité comme outil de propagande par le pouvoir en place. Le discours de l'ambassadeur de Chine en Angleterre au lendemain du seisme en est le parfait exemple. "Nous ne pouvons qu'admirer notre gouvernement national, qui a répondu si vite au secours de la population" commence-t-il. Le gouvernement chinois est le véritable héros de cette catastrophe. Mais ce n'est pas tout. L'ambassadeur a condensé ce qu'il était bon d'entendre. Il soutient que le seisme a uni le peuple et porte l'attention sur la couverture médiatique de la catastrophe. "Le seisme n'a fait qu'augmenter la détermination du peuple chinois d'organiser des Jeux Olympiques réussis". Si la forme diffère, dans le fond, cette récupération politique du séisme puise ses racines dans l'histoire même de la Chine....
Tangshan et la fin de la révolution culturelle
Malgré une gestion désastreuse de la part du pouvoir chinois, le seisme de Tangshan est récupéré à des fins de propagande par Mao et sa Bande. La culture chinoise accorde une place très importante aux signes de fortune et de misfortune que dévoilent les éléments naturels. Bien des Chinois ont vu dans le séisme de Tangshan un signe anonciateur de la mort de Mao.
Dans une situation politiquement fragile (cf encadré gris), Mao Zedong et la Bande des Quatre ont donc tout intérêt à retourner l'image de ce seisme, et d'en faire une preuve de la force et de l'unité chinoise. C'est la raison principale pour laquelle le gouvernement chinois refuse l'aide internationale : il faut montrer que la Chine peut s'en sortir seule. Il n'était pas non plus possible de laisser percevoir les faiblesses internes qui secouent le pays après la révolution culturelle

Source : Earthqyake Relief Propaganda Pster Editorial Group.
Les tremblements de terre ne nous effraient pas, le peuple vaincra la nature.
Pour la Bande des Quatre, le seisme ne doit pas faire oublier au chinois le vrai danger : Deng Xiaoping. « Soyez conscient que la tentative de Deng Xiaoping d'exploiter la peur du tremblement de terre pour supprimer la révolution est une tentative criminelle » avaient-ils comme slogan. Il s'agit à tout prix de retourner la perception du seisme que peuvent en avoir les habitants. Voici la décription que l'on pouvait trouver dans le Quotidien du Peuple en 1976 : « Guidées par la ligne révolutionnaire du président Mao et par les grandes victoires remportées dans la critique de Deng [Xiaoping] et les contre-attaques contre les forces de droite, les masses des zones affectées par le séisme sont déterminées à aller de l’avant dans leur foi indomptable dans la capacité de l’humanité à surmonter les fléaux naturels…. »
Mais, avec Mao gravement malade sur son lit d'hopital, la propagande de la Bande des Quatre se révèle bien moins efficace que celle de leur adversaire : le camp de Deng Xiaoping. Le tremblement de Tangshan est alors une occasion de protestation pour les opposants au régime.
"Aftershock" : le film des deux catastrophes
En 2010 est sorti en Chine « Aftershock », un film de Feng Xiaogang. Ce film raconte l'histoire d'une famille séparée en 1976 à la suite du seisme de Tangshan et qui se retrouve 32 ans plus tard, au moment du seisme du Sichuan.
En plus d'une analyse très fine des processus de production et des ingrédients du succés du film, Brigitte Duzan montre comment la scénariste, Su Xiaowei, travaillant également pour la propagande cinématographique chinoise, a réussi avec « Aftershock » à dépolitiser à la fois le seisme de Tangshan et celui du Sichuan. Le seisme du Sichuan est même élevé en « séisme salvateur » qui permet à une famille séparée lors du séisme de Tangshan de se retrouver. « En même temps, le film de Feng Xiaogang invite à réviser la notion de ‘cinéma de propagande’ : il contribue à brouiller les frontières déjà ténues entre ce cinéma dit de propagande et le cinéma tout simplement commercial. » Ainsi la conclusion de Brigitte Duzan nous montre comment la propagande autour du seisme du Sichuan a changé de nature depuis 1976, mais est toujours bien présente.
Quand la Terre et le gouvernement chinois se fissurent
Des répercussions politiques à l’échelle nationale
Tanghan met le feu aux poudres
Plus qu’une secousse sismique, la catastrophe de Tangshan est une secousse politique sans précédent.
Quand le séisme survient, Hua Guofeng est premier ministre depuis quelques mois. Peu influent dans le parti, pris en tenaille entre les radicaux (dont la Bande des Quatre et Mao) et les modérés (dont Deng Xiaoping), le séisme est l’occasion pour lui de consolider son image de leader chinois. Le 4 août, il se rend dans une région touchée pour réconforter les survivants. Son geste, largement médiatisé, lui attire la sympathie du peuple.
La réaction de la bande des 4 est beaucoup plus froide: "Il y a eu près de 700 000 morts. Et alors ? La dénonciation de Deng Xiaoping concerne 800 millions de personnes ». La popularité des radicaux en pâtit.
A la mort de Mao, le 9 septembre 1976, ce n’est donc pas l’un d’entre eux qui lui succède, mais le premier ministre Hua. La première mesure du nouveau chef du parti est la répression de la Révolution Culturelle radicale.
Le tremblement de Terre de Tangshan est l’une des catastrophes naturelles les plus meurtrières du 20è siècle. Cependant le séisme est l'un des éléments du déclin de la Révolution Culturelle, l’une des catastrophes cause par l’homme les plus meurtrières de tous les temps.
Sichuan révèle les dysfonctionnements du régime
En 1976, le régime communiste réprime sévèrement la colère du peuple.
En 2008, il ne parvient plus à étouffer certains scandales.

Source : http://fr.wikipedia.org/wiki/Séisme_de_2008_au_Sichuan#/media/File:Sichuanearthquake_Jiangyou_pic9.jpg
Il est d’abord loué pour son efficace gestion de la crise. Mais très vite, il est montré du doigt : 7000 écoles se sont effondrées lors du séisme, alors que des bâtiments alentours ont tenu le coup. Des études locales révèlent que la construction de ces « écoles en tofu » a été bâclée.
Officiellement, le gouvernement ouvre une enquête et promet des vérifications de sécurité. En pratique, il cherche à étouffer l’affaire en achetant le silence des parents ou en leur interdisant de manifester : « Les médias contrôlés par l'État ont négligé presque complètement le problème, apparemment sous les instructions du bureau de la propagande. Les parents et les volontaires qui ont questionné des autorités sur ce problème ont été raflés, détenus, et menacés. » (Associated Press).
Mais la colère de nombreux parents est exacerbée par leur fait que c’est leur enfant unique qui a péri sous les décombres : le Jour des enfants (1er juin 2008), ils bravent la menace et se rendent dans les ruines d’école pour porter le deuil.
Avec le scandale des écoles de tofu, le tremblement de Terre du Sichuan met à nouveau à jour les dysfonctionnements d’un régime qui pêche par sa perversion et sa malhonnêteté.
Des répercussions politiques à l’échelle internationale
Tangshan
Les médias gouvernementaux annoncent officiellement la catastrophe aux citoyens chinois. Au reste du monde, ils ne disent rien. Equipées de sismogrammes, les autres nations ne sont évidemment pas dupes du séisme, mais doivent attendre 1979 pour que leur soit communiqué l’étendue des dégats matériels et humains.
Au moment de la catastrophe, le gouvernement chinois presse ses citoyens de “résister au tremblement de terre et de se secourir eux-mêmes” mais refuse l'aide de L'ONU ou du Comité International de la Croix Rouge.
La catastrophe a donc contribué à isoler encore d’avantage sur la scène internationale le régime chinois.
Sichuan
Le 13 mai, le gouvernement chinois accepte officiellement l'aide internationale.
Elle peut prendre la forme de l’envoi d’équipes spécialisées : 4 équipes internationales (Russie, Japon, Corée du Sud et Singapour), soit 260 personnes, ont ainsi aidé les secours chinois.
Elle peut aussi être financière et matérielle : de nombreux pays, organisations (étrangères ou supraétatiques), et entreprises se sont ainsi mobilisés pour présenter leurs condoléances, organiser l'aide internationale et faire des dons.
La Chine accepte même les condoléances et le don du Dalaï-Lama
En 2008, le gouvernement chinois semble donc passer outre les tensions internationales et accorder la priorité au secours de victimes et à la reconstruction régionale.
Deux catastrophes, 32 ans d'intervalle...Même si le contexte mondial a bien changé pour la Chine, les séismes chinois sont toujours des séismes politiques.
Pour aller plus loin ... :
L'article de Brigitte Duzan sur le film "Aftershock" : http://www.chinesemovies.com.fr/films_Feng_Xiaogang_Aftershock.htm
"Les nouveaucs habits de la censure chinoise", Alain Peter : http://www.cairn.info/resume.php?ID_ARTICLE=QDC_020_0337
Article de Rue 89 : http://rue89.nouvelobs.com/chinatown/la-derniere-fois-que-la-terre-a-tremble-la-chine-a-change-dere
James Palmer. Heaven Cracks, Earth Shakes: The Tangshan Earthquake and the Death of Mao's China. New York, NY: Basic Books, 2011. ISBN 978-0-465-01478-1
Seisme de Tangshan : http://asianhistory.about.com/od/china/a/TangshanQuake.htm
Vidéo INA AFP 13/05/2008 : http://www.ina.fr/video/VDD08003842/le-seisme-en-chine-depasse-les-12-video.html
Vidéo INA AFP : scandale des écoles Tofu 12/05/2009 : http://www.ina.fr/video/VDD09013081/le-nombre-d-enfants-tues-dans-le-seisme-du-sichuan-reste-tabou-video.html
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